L'annonce de Frey

Débarrassée de sa cape de voyage, escortée par Bréhamont jusque dans le grand salon, Freyelda jeta un œil tout autour d'elle. De la demeure de son ami émanaient une chaleur et une convivialité qui apaisaient un peu ses tourments. Elle s'approcha de la cheminée dans laquelle crépitait doucement un petit feu et tendit les mains dans sa direction pour les réchauffer.

Si son visage avait toujours cet air triste et inquiet qui ne la quittait plus depuis quelques semaines, on pouvait malgré tout voir un sourire sur les lèvres de la jeune femme.


Bréhamont, mon ami. Je ne suis pas venue ici aujourd'hui que pour le simple plaisir de te voir. J'ai une grande nouvelle à t'annoncer et je préfère largement le faire moi-même plutôt que tu l'apprennes par quelques rumeurs qui pourraient courir en ville.

Une bonne nouvelle... A ce qu'il paraît. Il est cependant bien étrange que je n'arrive pas à m'en réjouir complètement...

Elle fronça les sourcils et son visage reprit un air grave l'espace de quelques instants. Elle soupira et secoua légèrement la tête pour chasser les sombres nuages qui obscurcissaient ses pensées. Elle se tourna pour faire face à Bréhamont et lui dit tout simplement :

J'attends un deuxième enfant. Et je voulais que tu sois l'un des premiers à en être averti. Voilà tout.

En attendant Brehamont, la vicomtesse s'était confortablement installée dans un fauteuil. Elle faisait tout particulièrement attention à elle depuis qu'elle se savait enceinte : la naissance d'Aliénor s'était assez mal passée pour lui faire passer l'envie de prendre quelque risque que ce fût. Elle ne manquait donc jamais un occasion de se reposer.

Lorsque Bréhamont revint , il lui tendit un bol remplit d'une infusion au délicat parfum sucrée qu'elle accepta avec le plus grand plaisir car les premiers frimas de l'automne se faisait sentir. Ils trinquèrent à l'avenir...

Qu'Aristote t'entende mon ami, qu'Aristote t'entende... soupira-t-elle. Un héritier... En effet, quelle joie ce serait. Mais mes prières sont plus humbles : une grossesse et un accouchement paisible, un enfant en bonne santé... Voilà tout ce que je demande...

Son visage se voila de tristesse à nouveau.

Je suis pétrifiée à l'idée de devoir affronter cela toute seule vois-tu...

Elle se reprit en voyant le lieutenant commencer à faire les gros yeux.

Enfin... pas toute seule, évidemment... mais... sans lui... Et si les choses se passaient encore plus mal cette fois-ci ? Et s'il ne revenait pas ? Et nos enfants se retrouvaient tous seuls ?... Ces questions ne me quittent plus. L'inquiétude sourde qui ne me quitte plus depuis qu'Alynerion est parti à la guerre me ronge littéralement à présent... Alors que je devrais être rayonnante, comme Val... ou comme Numalane, me voilà plus triste qu'un jour de pluie...

Freyelda resta sur son siège immobile et silencieuse, l'air surpris tandis que Brehamont parlait. Un sourire se dessina sur son visage à mesure des paroles de son ami. Lorsqu'il se tut, elle leva les yeux vers lui et dit :

Voilà des paroles emplies de la sagesse qui me fait défaut... Tu as raison cher ami, sur bien des points. Si ce n'est sur toute la ligne... Me voilà devenue bien orgueilleuse que je ne sais même plus apprécier comme elles le doivent les grâces qui me sont faites.

Elle se leva, précautionneusement et posa son bol sur la table. Elle avait retrouvé le sourire même qi un léger voile d'inquiétude brouillait toujours son regard, tourné vers le Berry. Elle s'approcha du lieutenant, prit ses mains qu'elle joignit pour mettre les siennes par dessus.

Merci de tout ce que tu as fait pour moi. Sois sûr que je ne l'oublie pas.

Elle lui sourit avant d'ajouter.

Il me faut prendre congé maintenant. J'ai hélas beaucoup trop de choses à faire et si peu de temps... Mais je te promets de prendre grand soin de moi et de l'enfant qui bouge déjà au creux de mes entrailles.

Elle détourna légèrement le regard, l'air penaude et coupable.

Oui car moi qui suis physicienne je n'ai pas su voir les signes de mon état avant d'en être à la moitié du chemin... Quelle honte. Enfin je m'en réjouis : cela nous fera moins longtemps à attendre l'arrivée de ce petit être.

Au revoir mon ami. Je promets de revenir te voir bientôt.

La nouvelle visite de Freyelda à Bréhamont se fut plus rapidement que prévu. Dans des circonstances bien moins joyeuses que la première...

La jeune femme resta immobile quelques instants, plantée au beau milieu du salon. Elle peinait à trouver les mots. Mais comment dire l'indicible ? Brehamont serait, à n'en pas douter très affecter par la funeste nouvelle qu'elle venait apporter.

Mon ami, commença-t-elle enfin, je crains d'avoir une terrible nouvelle à t'apprendre... Je... Hier... Il...

Elle ne savait que dire. Elle ferma les yeux, ne pouvant regarder le lieutenant de police lorsqu'elle finit par dire :

A... Alynerion... est mort... Bréha. Il a perdu la vie sur les champs de bataille.

Paroles cinglantes.....coup d'estoc porté à la volée, déchirure brulante au poitrail.....choc asséné d'une telle violence que Brehamont vacilla sur ses jambes. Le souffle court, asphyxié par ces mots simplement chuchotés, les tempes battantes sous l'afflut du sang, il cherche d'une main l'accoudoir d'un fauteuil......Une fois assis, tremblant de colère, d'une haine dirigée vers ceux qui ont osés, il ouvre la bouche à la recherche d'un peu d'air qui fuit ses poumons.Levant la tête en direction de son amie, les yeux brillants de tristesses, il cherche désespérément à comprendre pourquoi si triste nouvelle vient entrer en Lyonnais-Dauphiné........

Comment se peut il ?.....Qui donc est porteur de si mauvaises nouvelles?.........

De nombreuses questions lui venaient à l'esprit, mais il réalisa bien vite à la vue de Freyelda, qu'il fut innoportun d'inccommoder son amie en ce moment de grande tristesse.Une pensée arriva, le transperçant tel une lance guerroyante, le figeant comme un spectre blemissant......Alienor, leur fille de quatre ans était elle au courant? Dure épreuve pour cette petite qui, d'une destinée appelée guerre, son père à jamais lui a été enlevé.
Sa colère s'estompant, laissant place à une vague de tristes sentiments, il ferme les yeux quelques instants. Puisant dans une force morale et physique qu'il ne doutait pas posséder, il se relève . Inspirant profondément, recherchant à calmer ses tremblements, il se met à parler d'une voix douce et , espérait il réconfortante.

Mon amie....Ma douce amie, dans cette pénible épreuve que tu traverses, d'aide si tu as besoin, un mot de toi et je serais à tes côtés pour te servir. En l'obsèque de mon seigneur, si tu as besoin d'un bras vaillant pour te soutenir je serai là........Je serai là .......

Ces paroles.....Etait il besoin de les prononcer, la vicomtesse devait bien déjà le savoir.Il aurait tout donner pour la famille de son seigneur......son ami qu'il perdait au travers d'une guerre...........